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Souffrances dans la cour de l'école. Retour de conférence avec Emmanuelle Piquet

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Gabrielle a 5 ans. Deux ans et quelques mois de vie à l'école.
Et déjà du harcèlement scolaire derrière elle.
Sa classe de petite section était mélangée avec des grandes sections. L'écart entre eux est énorme.
Un grand M. la cherchait tous les jours, tout le temps. L'horreur absolue pour elle, il lui donnait des "bonjour Gabrielle-fesse" et autres noms d'oiseaux. Moi j'avais envie de rire au début. Elle, ça la mettait dans TOUS SES ETATS. Avec son papa, on lui a dit, de ne pas l'écouter, de se boucher les oreilles, ou de le dire à la maîtresse. Elle n'y arrivait pas. Jusqu'à ce qu'après les vacances de Noël, elle me dise qu'elle ne voulait plus aller à l'école.

Deux ans plus tard, hier soir, j'assiste à une conférence d'Emmanuelle Piquet sur le sujet du harcèlement à l'école primaire. Une conférence drôle (oui !) car le personnage est bourré d'humour, sur un sujet difficile pour un cœur tout mou comme le mien. Un sujet qui angoisse bon nombre de parents et d'enseignants. Elle raconte la souffrance des enfants (toujours des victimes de harcèlement, jamais de harceleurs) qu'elle a en consultation et les stratégies qu'elle met en place avec eux pour créer ce qu'elle appelle des expériences émotionnelles correctrices.

Le schéma le plus courant dans les situations qu'elle décrit, c'est l'intervention de la maman louve qui menace le harceleur directement, appelle ses parents, ou convoque la direction de l'école pour une médiation. Autant de coups d'épée dans l'eau, qui obligent les harceleurs à plus de discrétion mais jamais ne les découragent. Pendant ce temps-là notre petit harcelé se plonge dans le mutisme le plus complet. Son calvaire gagne en intensité. L'impasse donc.

Elle, qui travaille sur la question depuis des années a un avis extrêmement tranché sur le sujet.
L'adulte ne doit pas intervenir auprès du petit harceleur. Mais pourquoi ? me direz-vous.
Quand le parent intervient, il veut dire à son enfant "je t'aime à la folie et je te protège, ne t'en fais pas" et pourtant l'enfant harcelé reçoit le message suivant "tu n'es pas capable par toi-même de gérer ton relationnel aux autres". L'enfant harceleur reçoit le même message "ce copain que je malmène est infoutu de se débrouiller sans un adulte." Le rapport de pouvoir fort/faible s'accentue.

La seule et unique posture à adopter pour Emmanuelle Piquet est de donner des armes, apprendre à se défendre, aider le petit harcelé à surmonter sa vulnérabilité et décocher la flèche qui stoppera ce cercle relationnel infernal.

Elle utilise d'abord l'image du chat qui se fait embêter par l'enfant de la maison. Une image qui me parle bien, allez savoir pourquoi. Le chat, tant que l'enfant est bébé, se laisse faire et jamais ne se rebiffe. Jusqu'au jour où l'enfant grandit, et vers l'âge de 4 ans, se prend un coup de griffe. L'enfant n'y retournera pas. Il aura compris la leçon. Puis elle nous conte l'histoire de ses patients.

Gabriel un petit garçon de crèche qui se fait croquer la joue par une petite copine du même âge. Alors qu'il lit sur son fauteuil. Elle se pointe à un mètre devant lui, le regarde. Il commence à geindre car il sait qu'elle va attaquer, le scénario s'est déjà produit. Elle finit par se jeter sur lui pour lui mordre la joue au sang. 4 fois de suite en quelques jours. Le personnel a tout essayé, culpabiliser la petite fille, la punir, convoquer les parents. Les parents de Gabriel montent en tension de leur côté évidemment. Que faire. Emmanuelle arrive en consultation dans la crèche à ce moment-là. Elle conseille à Gabriel ne pas gémir mais plutôt de rugir au moment où la petite en viendra à le mordre. Le rugissement n'étant jugé pas assez convaincant pour provoquer une réaction de la partie adverse, on demande à 2 assistantes maternelles de surveiller la petite carnivore, et de s'associer au rugissement de Gabriel quand viendra le moment. C'est ainsi qu'à trois au moment de l'attaque, ils rugissent comme des lions féroces, la petite fera un bon d'un mètre, et la surprise sera telle que l'émotion engendrée deux côtés viendra corriger leur relation et plus jamais Gabriel sera mordu.

Simon à l'école primaire qui sort d'une chimiothérapie et qui a perdu tous ses cheveux. Ses parents, son enseignante préparent en amont son retour à l'école. Tout se passe bien pendant quelques semaines jusqu'à ce qu'une fille de la classe très populaire lance le jeu de la contamination.
On nomine un contaminé dans la classe, à mesure qu'il se déplace, tous les autres s'écartent. S'il touche un objet, on mime à l'endroit touché le spray désinfectant. La symbolique est très forte, comme si l'isolement et solitude étaient contagieuses, et bien sûr, Simon y voit un fort lien de corrélation à sa maladie. La maîtresse avertie met en place des mesures de communication, sur le fait que le cancer n'est pas contagieux blablabla. Accalmie pendant 2 semaines et tout repart en sourdine. Emmanuelle propose quelque chose à Simon. Au moment où le jeu se lance, tu lèches ta main, tu l'essuies sur la joue de la "meneuse", et tu lui dis "t'es morte". Le petit garçon a peur qu'elle aille se plaindre auprès de la maîtresse. Emmanuelle lui conseille d'avertir la maîtresse de ce qu'il va faire en amont. La maîtresse lui répond "qu'elle vienne...". Il met en place sa stratégie, la petite fille surprise se met à pleurer devant tout le monde, va se plaindre à la maitresse et n'a plus jamais embêté Samuel.

Chagrin scolaire le groupement de psychothérapeutes qu'elle a fondé pour répondre spécifiquement à aux problèmes de souffrances à l'école ont 3 champs d'intervention. Les enfants, les parents et les enseignants. Les thérapies sont brèves, en quelques séances les problèmes se règlent.
Elle est intervenue en crèche, dans les écoles, les collèges.
 
Elle encourage souvent les enfants vulnérables à faire un sport de combat ou art martial. Non pas pour les encourager à être violents, mais parce que l'énergie qu'ils dégagent une fois qu'ils savent se défendre n'invite personne à leur chercher des noises.

Quant à Gabrielle. J'ai fini par parler à la maîtresse à la rentrée de janvier. Qui a réprimandé vertement le grand M. devant moi et Gabrielle. J'étais mortifiée. Car j'avais le sentiment que Gabrielle en avait besoin pour qu'on prenne en compte sa douleur, et en même temps je voyais que ce
garçon de 5 ans n'a jamais compris où était le mal ni avant ni après l'engueulade. On a invité le grand M. souvent à la maison après ça pour privilégier leur relation à deux et en priant pour que ça aide Gabrielle à se sentir plus forte face à lui. Ça a dû marcher car elle ne s'en est plus jamais plainte. Pourtant j'ai un doute sur sa capacité à savoir résoudre un nouveau conflit de ce type dans le futur. Mais cette fois je saurais quoi faire pour qu'elle apprenne à décocher sa flèche !

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Photos prises lors de l'expo de Little Beaux Arts, One, two... Street Art.
Artistes Big Ben, Joe Iurato, et Don Mateo.
3 commentaires on "Souffrances dans la cour de l'école. Retour de conférence avec Emmanuelle Piquet"
  1. Très belle manière de gérer ce problème et j'espère que ta fille va bien mieux ...

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  2. Merci de ce compte-rendu ! J'ai déjà écouté une conférence d'Emmanuelle Piquet, et si je ne suis pas sûre de tout ce qu'elle dit, j'aime sa vision qui consiste à rendre l'enfant fort et confiant plutôt que de le protéger. Le message envoyé est en effet bien différent...

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  3. Merci pour cet article clair! Je n'avais jamais vu les choses sous cet angle et je trouve les exemples assez parlants et très inspirants. Tout en espérant, comme tout parent, ne jamais devoir y avoir recours...

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